NOTE SOUS ORDONNANCE DU CONSEIL D’ETAT SECTION CONTENTIEUX – N° 345633 du 13 JANVIER 2011
L’ordonnance commentée constitue à notre connaissance la première illustration jurisprudentielle de l’application en matière sportive des nouveaux articles R. 311-1 et suivants du Code de Justice Administrative dans leur rédaction issue du décret 2010-164 du 22 février 2010, et notamment pour ce qui touche à la compétence des tribunaux devant connaître des décisions des fédérations sportives arrêtant un classement au niveau national.
1- En l’espèce, un arbitre de football ayant évolué au niveau fédéral 2, contestait la décision du Conseil Fédéral de la Fédération Française de Football en ce qu’elle l’avait rétrogradé et remis à disposition de sa ligue régionale.
Plus précisément, c’est la légalité de l’annexe 3 du règlement intérieur de la Direction Nationale de l’Arbitrage de la Fédération Française de Football qui était contestée, en ce qu’elle prévoit que l’arbitre qui évoluait l’année précédente au niveau fédéral 1 et qui n’a pas été classé suite à une rétrogradation dans les 8 premiers du classement des arbitres de niveau fédéral 2, se voit automatiquement remis à disposition de sa ligue régionale.
2- La première difficulté devant être tranchée touche au point de savoir si cette décision de rétrogradation doit être assimilée à une décision individuelle prise par une fédération sportive dans l’exercice de ses prérogatives de puissance publique et relèverait, de ce fait, de la compétence du Tribunal Administratif dans le ressort duquel se situe la résidence du requérant à la date de la décision attaquée.
Ce point a été tranché par le Conseil d’Etat (CE 19.06.2009 n° 323621 BITON/FFF) au motif suivant :
« Considérant que la décision attaquée prise par le Conseil Fédéral de la Fédération Française de Football, qui constitue un organisme collégial à compétence nationale, est une décision fixant le tableau des effectifs des arbitres de Fédéral 1 et de Fédéral 2 pour la saison 2008-2009 qui intéresse l’ensemble des arbitres qui y sont inscrits, et n’a pas le caractère d’une décision individuelle prise à l’encontre d’une personne physique ou morale au sens des dispositions de l’article R.311-2 du Code de Justice Administrative ; qu’elle relève de la compétence du Conseil d’Etat en premier et dernier ressort« .
Ainsi, même si à première analyse il aurait pu être considéré que l’arbitre faisant l’objet d’une rétrogradation subissait une décision individuelle lui faisant grief, le Conseil d’Etat estime qu’en raison des conséquences sur les autres arbitres que pourrait avoir une mesure de réintégration ou de modification de classement initial, cette décision de l’organe dirigeant de la fédération sportive relève de la compétence en dernier ressort du Conseil d’Etat.
Ainsi, dans ses conclusions sous l’arrêt susvisé, le rapporteur public Madame BOURGEOIS-MACHUREAU précisait :
« Vous avez implicitement admis dans votre décision du 3 mars 2008 Derrien, à mentionner aux Tables, votre compétence pour connaître de la décision collective par laquelle le Conseil Fédéral de la Fédération Française de Football avait validé le classement des arbitres pour la saison 2006-2007. Le raisonnement qui sous-tend une telle analyse est simple : s’agissant d’un classement assorti de la détermination ex ante du nombre des promotions et des rétrogradations entre catégories ainsi que de l’effectif de chaque catégorie, tout changement dans la situation d’un arbitre est susceptible d’emporter des conséquences sur la situation des autres. La configuration en cause apparaît dès lors similaire à celle qui prévaut pour les résultats d’une compétition sportive et le classement des clubs y afférent. Et votre jurisprudence en la matière est clairement définie : vous vous estimez compétent pour juger de la légalité de telles décisions collectives. Voyez en ce sens votre décision du 25 avril 2001, Association Sportive Nancy Lorraine et autres, p.196 et votre décision de section du 25 juin 2001, Société à objet sportif « Toulouse football club », p.281 aux conclusions d’Isabelle de Silva.
Dans cette mesure nous pensons comme le tribunal administratif qui vous a renvoyé l’affaire sur le fondement de l’article R.351-2 du Code de justice administrative, que vous êtes bien compétent pour connaître en premier et dernier ressort de la décision du Conseil Fédéral du 12 septembre 2008 ».
3- La jurisprudence semblait donc fixée jusqu’à la parution du décret 2010-164 du 22 février 2010 modifiant la rédaction des articles R.311-1 et suivants du Code de Justice Administrative.
Notamment l’article R.311-1 4° qui prévoyait la compétence du Conseil d’Etat pour connaître en premier et dernier ressort « des recours dirigés contre les décisions administratives des organismes collégiaux à compétence nationale », se trouve réécrit, la compétence du Conseil d’Etat en premier et dernier ressort étant déterminée de manière exhaustive, à travers l’énumération des autorités concernées par cette compétence en premier et dernier ressort.
En matière sportive seuls relèvent désormais de cette compétence, les recours contre les décisions prises au titre de leur mission de contrôle et de régulation par l’agence française de lutte contre le dopage et l’autorité de régulation des jeux en lignes.
4- Demeurait alors la question de savoir si les décisions prises par les organes dirigeants des fédérations sportives pouvaient relever de l’article R.311-1 2° du Code de Justice Administrative dans sa nouvelle rédaction, en ce qu’il prévoit notamment la compétence du Conseil d’Etat en premier et dernier ressort pour connaître des recours dirigés « contre les actes réglementaires (…) des autorités à compétence nationale ».
Le Président de la section contentieux du Conseil d’Etat répond dans la décision commentée par la négative en précisant que :
« Le litige ainsi soulevé ne peut être regardé ni comme un recours dirigé contre un acte réglementaire d’un ministre et des autorités à compétence nationale et contre leurs circulaires et instructions de portée générale au sens des dispositions de l’article 2ème de l’article R.311-1 du Code de la justice administrative, ni comme un recours dirigé contre une décision prise par un organe de l’une des autorités énumérées par le quatrièmement de cet article au titre de sa mission de contrôle et de régulation et, par suite, ne relève pas de la compétence du Conseil d’Etat en tant que premier et dernier ressort. En conséquence, le litige est renvoyé devant le Tribunal Administratif de PARIS où le Conseil Fédéral de la Fédération Française de Football a son siège ».
La jurisprudence concernant le caractère « collectif » des décisions prises par les fédérations sportives et arrêtant un classement, est ainsi implicitement maintenue puisqu’à défaut, il aurait été fait application des dispositions de l’article 312-17 du Code de Justice Administrative prévoyant pour les décisions individuelles la compétence du Tribunal Administratif dans lequel le requérant a son siège.
5- Cette décision aura pour effet de concentrer devant le Tribunal Administratif de PARIS – dans le ressort duquel la quasi-totalité des fédérations sportives ont leur siège – le contentieux touchant à la contestation des décisions prises par les organes collégiaux desdites fédérations.
Ce contentieux ne sera pas nécessairement symbolique puisqu’au delà du seul cas touchant au classement des arbitres de football, le Conseil d’Etat avait, à plusieurs reprises, reconnu le caractère « collectif » des décisions homologuant les classements des championnats, jugeant recevables sous l’ancienne rédaction du Code de Justice Administrative les recours qui lui étaient adressés par tous les clubs ayant un intérêt à contester l’homologation des classements effectués au niveau national (en ce sens CE n° 308561, 4 avril 2008 Stade Rennais/Ligue de Football Professionnel, au sujet d’un recours en annulation de la décision de la commission d’organisation des compétitions de la Ligue de Football Professionnel, homologuant le classement final du championnat de France de première division pour la saison 2006/2007).
6- Enfin concernant le fond du dossier, le Tribunal Administratif de PARIS statuant sur renvoi du Conseil d’Etat a suspendu la décision de rétrogradation estimant caractérisés, d’une part l’existence d’une urgence en ce que la décision portait atteinte à la rémunération du requérant et entraînait sa rétrogradation définitive, et d’autre part, l’existence d’un doute sérieux sur la légalité de la disposition réglementaire ayant fondé la décision attaquée (en ce sens TA PARIS BOILLIN/FFF n°1100912 du 14 février 2011, déjà en ce sens TA PARIS BONIN/FFF n° 0613820 du 21 janvier 2010, décision récemment confirmée par la Cour Administrative d’Appel de PARIS – CAA PARIS 6 octobre 2011).
Samuel CHEVRET
Avocat à la Cour d’appel de PARIS