Droit d’auteur et droits voisins dans l’environnement numérique : la nouvelle Directive européenne à transposer

Dans l’attente de l’imminente publication au Journal Officiel de l’Union Européenne de la Directive « sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique » (adoptée par le Parlement le 26 mars et approuvée par le Conseil le 15 avril 2019), nous pouvons envisager les « mesures visant à assurer le bon fonctionnement du marché du droit d’auteur » (Titre IV) que les États membres auront à transposer dans les deux années suivant la publication à intervenir.

Considérant que depuis la précédente Directive dite DADVSI de 2001, « l'évolution rapide des technologies continue à modifier la manière dont les œuvres ou autres objets protégés sont créés, produits, distribués et exploités », le législateur européen a souhaité répondre aux nouvelles insécurités juridiques apparues en vingt ans, « tant pour les titulaires de droits que pour les utilisateurs, en ce qui concerne certaines utilisations, notamment transfrontières, d'œuvres ou autres objets protégés dans l'environnement numérique » (Considérant 3).

La nouvelle Directive a donc pour objectif notamment de rééquilibrer les rapports entre les titulaires de droits et les diffuseurs de contenus, au titre desquels sont particulièrement visés :
- « les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne » (type YouTube), vis-à-vis desquels les droits d’auteurs et droits voisins sont renforcés (1),
- « les agrégateurs d’informations » (type Google Actualités), à l’égard desquels un nouveau droit voisin est créé au bénéfice des éditeurs de presse (2).

1. Extension des droits vis-à-vis des fournisseurs de services de partage

Selon l’ancienne Directive DADVSI, les plateformes de partage de contenus en ligne n’étaient pas nécessairement responsables du contenu posté par leurs utilisateurs ; désormais ces mêmes plateformes devront « obtenir une autorisation, notamment par le biais d’un accord de licence, de la part des titulaires de droits concernés » (Considérant 64).

De tels accords de licence sont ainsi prévus par l’article 17 de la nouvelle Directive, précisant que « si aucune autorisation n’est accordée, les fournisseurs... sont responsables des actes non autorisés de communication au public » ; une telle responsabilité peut toutefois être écartée si le fournisseur concerné :
- déploie « les meilleurs efforts » (notion à préciser…) pour obtenir une telle autorisation, et à défaut garantit « l’indisponibilité des œuvres spécifiques »,
- agit « promptement, dès réception d’une notification suffisamment motivée de la part des titulaires de droit, pour bloquer l’accès aux œuvres et autres objets protégés ».

En outre, seront exemptés de ces contraintes :
- les fournisseurs de contenus « émergents », à savoir exerçant depuis moins de trois ans et ayant un chiffre d’affaires annuel inférieur à 10 millions d’euros,
- plus classiquement les diffusions de critiques, citations, caricatures et parodies.

Enfin le mécanisme est parachevé par des obligations, pour les diffuseurs, de transparence et de traitement « rapide et efficace » des plaintes des titulaires de droits le cas échéant.

2. Création d’un nouveau droit à l’égard des agrégateurs d’informations

La nouvelle Directive rappelle « qu’une presse libre et pluraliste est indispensable pour garantir un journalisme de qualité et l’accès des citoyens à l’information », et que les éditeurs de presse doivent être reconnus et davantage encouragés pour « promouvoir la disponibilité d’informations fiables » (Considérant 55).

Nous voyons donc éclore à l’article 15 de la nouvelle Directive un droit voisin inédit bénéficiant « aux éditeurs de publications de presse établis dans un Etat membre », opposable aux agrégateurs d’informations.

Sont toutefois notamment exemptés les « mots isolés ou très courts extraits d’une publication ».

Notons également la relative brièveté de ce nouveau droit, qui « expire deux ans après que la publication de presse a été publiée ».

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L’on peut aisément comprendre, à la lecture de tels enjeux, que de nombreux lobbies, défendant notamment la « diffusion libre » sur Internet, se soient opposés à l’adoption d’un tel projet.

Les eurodéputés français ont toutefois pour leur part majoritairement voté pour la nouvelle Directive, de sorte que les discussions au niveau désormais national aux fins de transposition dans le délai biennal devraient demeurer équilibrées... pour un rendez-vous législatif en principe d’ici 2021.

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Julie GRINGORE
mai 2019


Réforme du droit des marques : transposition en droit français de la Directive UE 2015/2436

Le 20 mars 2019 vient d’expirer le délai de consultation publique sur le projet d’Ordonnance du 15 février 2019 « Paquet Marques », transposant en droit français la Directive UE 2015/2436 du 16 décembre 2015 « rapprochant les législations des États membres sur les marques ».

Cela est l’occasion de présenter les nouvelles modifications qui seront ainsi apportées par le droit communautaire à notre droit national (la dernière réforme communautaire d'ampleur datait de la Directive UE du 21 décembre 1988, transposée en droit français par la Loi du 4 janvier 1991) ; chacun des six chapitres relatifs au droit des marques françaises dans le Code de la Propriété Intellectuelle étant concerné, leurs principales modifications seront ci-après exposées.

Chapitre 1 : Eléments constitutifs de la marque

Tout d’abord, l’exigence de représentation graphique est supprimée du nouvel article L. 711-1 CPI, selon lequel le signe doit simplement « pouvoir être représenté dans le registre national des marques de manière à permettre à toute personne de déterminer précisément et clairement l’objet de la protection » ; pourront en conséquence dorénavant être déposées des marques sonores, mobiles, multimédias...

Le nouvel article L. 711-2 CPI exclut par ailleurs expressément les signes dépourvus de tout caractère distinctif, ce critère pouvant toujours être apprécié comme auparavant en fonction des produits et services visés (prohibition des marques « descriptives »), mais à l’avenir également indépendamment desdits produits et services (consécration de la notion de distinctivité autonome, dont la jurisprudence s’était d’ores et déjà emparée pour annuler des marques telles que « J’aime Paris »).

Quant aux antériorités opposables à un dépôt de marque, la liste préexistante (marque, dénomination sociale, nom commercial...) est notamment complétée par les « nom, image ou renommée d’une institution, d’une autorité ou d’un organisme de droit public » (art. L. 711-4 CPI) ; la jurisprudence permettant d’opposer un nom de domaine antérieur à un dépôt de marque n’est pour sa part pas spécialement consacrée, ce qui ne devrait toutefois pas l’empêcher de continuer de s’appliquer en pratique.

Chapitre 2 : Acquisition du droit sur la marque

Un nouvel article prévoit le cas - malheureusement assez fréquent pour devoir être envisagé par le projet d’Ordonnance - du dépôt enregistré par un mandataire indélicat en son nom propre en lieu et place de celui de son mandant ; le titulaire légitime pourra désormais s’y opposer en demandant la rétrocession de la marque à son profit sur ce fondement légal spécifique, et ce dans un délai de prescription de 5 ans à compter de la publication de la demande d’enregistrement (art. L. 712-6-1 CPI).

Chapitre 3 : Droits conférés par l'enregistrement

Il est expressément précisé, en conformité avec la jurisprudence d’ores et déjà établie sur ce point, que les interdictions de copie d’une marque concernent « l’usage dans la vie des affaires » (art. L. 713-2 et L. 713-3 CPI), ce qui permet de faire échapper aux poursuites l'utilisation d'une marque à titre privé, mais également à titre public lorsqu’aucun avantage économique n’en est tiré (notamment à titre d’information).

En outre, concernant l’utilisation commerciale d’un nom patronymique nonobstant l’enregistrement d’une marque tierce antérieure identique ou similaire, cette possibilité est étendue à « l’adresse » de la personne concernée, à tout le moins pour les personnes physiques (art. L. 713-6 CPI).

Chapitre 4 : Transmission et perte du droit sur la marque

En ce qui concerne la déchéance pour défaut d’exploitation d’une marque, le titulaire pourra toujours s’y opposer notamment s’il en a fait un usage « sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif », mais désormais également si cet usage est le fait d’un tiers avec le consentement du titulaire, ce qui réduit ainsi les risques de déchéance (art. L. 714-5 CPI).

Chapitre 5 : Marques de certification et marques collectives

La marque de certification a dorénavant sa qualification propre et indépendante de la marque collective, étant définie comme distinguant « les produits ou les services pour lesquels la matière, le mode de fabrication ou de prestation, la qualité, la précision ou d’autres caractéristiques sont certifiés par son titulaire » (art. L. 715-1 CPI).

Chapitre 6 : Contentieux

La principale modification procédurale est constituée par le transfert de compétence du Tribunal de Grande Instance à l’INPI en matière de nullité et de déchéance des marques (art. L. 716-5 CPI) ; des dérogations sont toutefois prévues notamment lorsque de telles demandes de nullité ou de déchéance sont formulées de manière « connexe » à une action en contrefaçon, dont seul le Tribunal de Grande Instance continuera de connaître.

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L’essentiel de ces mesures devrait être conservé dans la version définitive de l’Ordonnance, laquelle doit être adoptée d’ici le mois de juin 2019 ; il n’y a en effet dorénavant plus de temps à perdre dès lors que la Directive (UE) 2015/2436 du 16 décembre 2015 était censée être transposée en droit national avant le 14 janvier 2019...

Julie GRINGORE
mars 2019


Avocats mandataires sportifs : des précisions sur les contrats passés avec les sportifs professionnels

Civ. I 20 février 2019 n°17-27129

☞ Ce qu’il faut retenir:

Le contrat de mandataire sportif confié à un avocat n’a pas obligatoirement à être établi sous la forme d’un acte écrit unique.

En revanche encourent la nullité deux conventions formant un mandat sportif confié à une société d’avocats dès lors qu’il ne ressort pas de leurs stipulations un montant déterminable et précis des honoraires de l’avocat.

 Pour approfondir

Une joueuse professionnelle de handball a confié à une société d’avocats un mandat exclusif pour une durée de deux ans, avec une mission d’assistance et de conseils juridiques dans la négociation et la rédaction de ses contrats de travail, ou de tout autre contrat qui pourrait lui être nécessaire dans le cadre de son activité de sportive professionnelle.

Dans un autre document signé le même jour et intitulé « convention d’intervention exclusive », il était prévu que seraient réglés en cas de manquement aux obligations, « d’éventuels honoraires d’un montant de 8% sur la base du salaire brut, des primes et des avantages en nature annuels ».

La joueuse a signé un contrat de travail avec un club sportif, puis résilié le mandat exclusif moyennant un préavis de dix jours, et enfin ultérieurement signé une prolongation de son contrat de travail avec le même club.

La société d’avocats l’a assignée en paiement d’une indemnité d’éviction.

Après que le mandata ait été jugé nul en première instance, l’avocat mandataire sportif a obtenu gain de cause en appel, les juges du fond estimant qu’aucun des moyens d’annulation de la convention n’avait vocation à être retenu.

Il n’en est pas de même devant la Cour de cassation.

En effet, si celle-ci considère que le fait que le contrat d’avocat mandataire sportif n’ait pas été conclu sous la forme d’un acte écrit unique ne saurait être une cause de nullité, elle fait droit aux moyens d’annulation touchant à l’absence de précisions suffisantes de la rémunération du conseil.

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Concernant le formalisme que doit revêtir le contrat de mandataire sportif, et à défaut de précision textuelle, la Cour de cassation estime que l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971 n’impose pas que le contrat de mandataire sportif confié à un avocat soit établi sous la forme d’un acte écrit unique.

Ce faisant, la Cour maintient l’interprétation relativement souple des conditions formelles requises pour le mandat régissant les relations entre les sportifs professionnels et leur représentant.

Par arrêt du 11 juillet 2018 (Civ I n° 17-10458), elle avait déjà jugé « que l’article L.222-14 du Code du Sport n’impose pas que le contrat liant le sportif ou l’entraîneur à l’agent sportif soit établi sous la forme d’un acte écrit unique, et que la Cour d’appel ajoutant à la loi une condition qu’elle ne comportait pas, avait violé le texte susvisé ».

La Cour indiquant dans ce même arrêt que l’écrit exigé pour la validité d’un acte juridique pouvait être établi et conservé sous forme électronique, de sorte que des échanges de mails permettaient de considérer que l’existence d’un écrit était rapportée.

Ce qui implique cependant que les dispositions légales afférentes  aux actes électroniques tels que prévues aux articles 1316-1 et suivants du code civil soit respectées.

* * *

Concernant la rémunération de l’avocat mandataire sportif, l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971, dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-158 du 1 er février 2012, dispose :

«(…) Dans le mandat donné à un avocat pour la conclusion de l'un des contrats mentionnés au premier alinéa de l'article L. 222-7 du code du sport, il est précisé le montant de ses honoraires, qui ne peuvent excéder 10 % du montant de ce contrat. Lorsque, pour la conclusion d'un tel contrat, plusieurs avocats interviennent ou un avocat intervient avec le concours d'un agent sportif, le montant total de leur rémunération ne peut excéder 10 % du montant de ce contrat. L'avocat agissant en qualité de mandataire de l’une des parties intéressées à la conclusion d'un tel contrat ne peut être rémunéré que par son client. »

Pour sa part l’article L. 222-17 du Code du sport précise pour ce qui touche aux agents sportifs :

« Un agent sportif ne peut agir que pour le compte d'une des parties aux contrats mentionnés à l'article L. 222-7.

Le contrat écrit en exécution duquel l'agent sportif exerce l'activité consistant à mettre en rapport les parties intéressées à la conclusion d'un des contrats mentionnés à l'article L. 222-7 précise :

1° Le montant de la rémunération de l'agent sportif, qui ne peut excéder 10 % du montant du contrat conclu par les parties qu'il a mises en rapport ;

2° La partie à l'un des contrats mentionnés à l'article L. 222-7 qui rémunère l'agent sportif.

Le montant de la rémunération de l'agent sportif peut, par accord entre celui-ci et les parties aux contrats mentionnés à l'article L. 222-7, être pour tout ou partie acquittée par le cocontractant du sportif ou de l'entraîneur. L'agent sportif donne quittance du paiement au cocontractant du sportif ou de l'entraîneur.

Toute convention contraire au présent article est réputée nulle et non écrite ».

La lecture comparée de ces deux dispositions montre que lors de l’ouverture de l'activité de mandataire sportif aux avocats, le législateur s’est ainsi largement inspiré du régime applicable aux agents sportifs (article 6 ter de la Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 issue de la loi du 28 mars 2011 n° 2011-334 : « Les avocats peuvent, dans le cadre de la réglementation qui leur est propre, représenter, en qualité de mandataire, l'une des parties intéressées à la conclusion de l'un des contrats mentionnés au premier alinéa de l'article L. 222-7 du code du sport »).

Certes, certaines différences subsistent (les avocats mandataires sportifs relèvent disciplinairement de leur ordre, alors que les agents sportifs sont contrôlés par les Fédérations Sportives ;  les avocats ne peuvent être rémunérés que par leurs clients, alors que les agents sportifs peuvent faire prendre en charge leur rémunération par le club sportif), mais de nombreuses convergences existent également (envoi des mandats aux fédérations, rémunération maximale de 10%.....).

Or, en matière de rémunération, si l’article L.212-17 du Code du Sport prévoit que les dispositions concernant la rémunération de l’agent le sont à peine de nullité, tel n’était pas le cas pour l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971 relatif aux avocats mandataires sportifs.

Pour autant, par l’arrêt commenté, la Cour de cassation semble poursuivre sa volonté d’uniformiser, autant que faire se peut, le traitement des deux activités (agent sportif et avocat mandataire sportif), en considérant que faute de prévoir précisément les modalités de détermination des honoraires de l’avocat mandataire sportif, la nullité des conventions était encourue.

Il convient donc de faire preuve de vigilance lors de la rédaction des contrats d’avocats mandataires sportifs avec des sportifs ou entraîneurs professionnels, en faisant préciser d’une part, le débiteur de la rémunération et, d’autre part, l’assiette précise de calcul des honoraires qui ne sauraient excéder 10%.

Pour autant, si ces premières décisions tracent les contours de la nouvelle profession d’avocat mandataire sportif, toutes les questions ne sont pas pour autant résolues, la Cour de cassation n’ayant, par exemple, pas statué sur le moyen du pourvoi qui soutenait, nonobstant la convention d’intervention exclusive à durée déterminée, que la joueuse était en droit de résilier cette convention d’intervention en application du principe de libre choix de l’avocat.

A rapprocher :  articles L.222-7 & suivants du Code du Sport.

L’équipe Droit du Sport

DERBY AVOCATS


Interview de Me Samuel CHEVRET dans Les Echos sur l'affaire Sala

https://business.lesechos.fr/directions-juridiques/droit-des-affaires/contrats-et-clauses/0600809788443-paiement-du-transfert-de-sala-quel-recours-devant-la-fifa-327431.php


L’Intelligence artificielle selon le Parlement européen

Le Parlement européen vient d’adopter le 12 février 2019 une Résolution sur l’intelligence artificielle (ci-après IA), quasiment deux ans jour pour jour après sa Résolution du 16 février 2017 concernant les règles de droit civil sur la robotique (au premier chef de ses visas) ; qualifié de « l’une des technologies stratégiques du 21ème siècle » (pt. D), le sujet apparaît suffisamment urgent pour que la Résolution souligne, à plusieurs reprises, la nécessité de rattraper le retard européen « vis-à-vis de l’Amérique du Nord et de l’Asie » (pt. AF et I).

Du point de vue des PME (auxquelles une section 3.1.7 est consacrée), le Parlement européen considère que l’IA peut « renforcer la compétitivité de l’industrie et des petites et moyennes entreprise » (pt. F), en permettant « une meilleure adaptation aux besoins des consommateurs » (pt. Q) ; cela vaut en de nombreux domaines « tels que la médecine, les finances, la biologie, l’énergie, l’industrie, la chimie ou le secteur public » notamment (pt. T).

Cette Résolution est l’occasion de faire le point sur les modalités de protection de l’IA (1), ainsi que sur leurs limites actuelles (2).

1. Protection de l’IA : droit des bases de données et des logiciels

Le Parlement européen insiste sur le fait que « les régimes et doctrines juridiques existants peuvent s’appliquer en l’état à ce domaine », de sorte qu’aucune nouvelle législation particulière n’est pour l’instant envisagée (pt. 136) ; diverses dispositions peuvent effectivement d’ores et déjà régir les sources comme le fonctionnement de l’IA.

En premier lieu sur ce qui alimente de manière indispensable l’IA, à savoir les bases de données lui permettant de fonctionner, celles-ci font l’objet d’une protection spécifique au sein de l’Union européenne depuis la Directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996, transposée aux art. L341-1 et s. du Code de la propriété intellectuelle ; soulignons que lesdites bases doivent en outre désormais se conformer au Règlement RGPD 2016/679 du 27 avril 2016 si elles impliquent le traitement de données personnelles (voir les précédents articles sur le sujet : Entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données le 24 mai 2018 ; Les données personnelles et le droit français).

En second lieu sur l’essence même de l’IA, celle-ci relève du droit des logiciels, lesquels sont protégés en droit européen depuis la Directive 91/250 du Conseil des Communautés européennes du 14 mai 1991, notamment transposée aux art. L122-6 et s. du Code de la propriété intellectuelle ; cette protection est ainsi intégrée depuis près de trente ans aux droits d’auteur, traités par le premier livre dudit Code.

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C’est donc sans envisager de prendre dans l’immédiat de nouvelles dispositions spécifiques pour l’IA que le Parlement appréhende la matière, tout en préconisant tout de même des réévaluations régulières de la législation « afin de s’assurer qu’elle soit adaptée à son objectif » (pt. 114), ainsi que des bilans pour « contrôler la pertinence et l’efficacité des règles en matière de propriété intellectuelle » (pt. 136).

2. Contrôle de l’IA : fiabilité des sources et gestion d’exploitation

Le Parlement souligne à plusieurs reprises la priorité humaine sur le système informatique, posant un principe « de responsabilité selon lequel l’humain contrôle la machine » (pt. AK), ou encore qualifiant l’IA « d’outil utile pour compléter l’action humaine et pour améliorer ses performances et réduire les erreurs », sans avoir vocation à la remplacer (pt. 152) ; cela s’illustre tant au niveau de la collecte des données qu’au niveau de leur traitement.

En amont, conscient qu’un système informatique ne sera pas nécessairement capable d’apprécier le degré d’authenticité d’une information, le Parlement invite par exemple la Commission « à veiller à ce que toute personne qui produit des documents ou des vidéos synthétiques comportant des trucages vidéo élaborés ou toute autre vidéo synthétique réaliste déclare explicitement qu’il ne s’agit pas d’un original » (pt. 178) ; il convient, plus généralement, de veiller ainsi à ce que l’IA ne parte pas de postulats erronés si l’on veut s’assurer ensuite de son bon fonctionnement.

En aval, et à titre d’illustration au niveau du traitement des données, le Parlement « fait observer que les technologies de l’IA destinées aux systèmes d’armes automatisés doivent continuer à faire l’objet d’une approche dans laquelle l’homme reste aux commandes » (pt. 150) ; il était apparemment utile de le préciser…

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Ainsi les aspects éthiques, auxquels la présente Résolution consacre un chapitre entier (5.), apparaissent-ils omniprésents dans la réflexion du Parlement européen qui prône « une technologie centrée sur l’homme » (5.1), tentant de se distinguer en cela notamment des systèmes de crédit social fondés sur l’exploitation d’analyses comportementales adoptés par d’autres pays (pt. 13 et 146).

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Si la Résolution du Parlement du 12 février 2019 souligne l’urgence qu’il y a désormais à s’adapter aux codes de l’IA en Europe, les prochaines générations devront quant à elles quasiment en faire une seconde langue vivante, ce qui est d’ores et déjà envisagé par le biais de « l’acquisition des compétences numériques, y compris la programmation, dans l’éducation et la formation, depuis l’enseignement fondamental jusqu’à l’apprentissage tout au long de la vie » (pt. 8), le Parlement invitant « instamment les États membres à moderniser leur système d’éducation… et à faire en sorte que les services professionnels de l’Union soient compétitifs à l’échelle internationale dans les décennies à venir » (pt. 121).

Après la course à l’information c’est donc désormais celle à la formation qui est lancée avec l’IA, laquelle pourrait même avoir pris un peu d’avance en la matière, la Résolution indiquant notamment « reconnaître que les algorithmes d’apprentissage automatiques sont entraînés pour apprendre par eux-mêmes... » (pt. 160).

Julie GRINGORE
Février 2019


Assiette forfaitaire et franchise de cotisations URSSAF : Quels points de vigilance pour les clubs sportifs?

Civ. II 20 décembre 2018 n°17-26921

☞ Ce qu’il faut retenir:

Il n’est pas possible pour une association sportive gérant le centre de formation d’un club sportif professionnel, d’appliquer le mécanisme de l’assiette forfaitaire de cotisations de Sécurité Sociale prévu par l’arrêté  du 27 juillet 1994 aux sommes versées pour les mineurs de moins de 16 ans, accueillis au sein du club dans le cadre d’une convention de préformation.

 Pour approfondir

A l’occasion d’un vaste contrôle national des clubs de football professionnels mené par l’URSSAF, l’association Football Club des Girondins de Bordeaux s’est vue notifier un rappel de cotisations du chef de l’application erronée selon l’URSSAF, du mécanisme de l’assiette forfaitaire des cotisations de Sécurité Sociale, aux sommes versées pour les mineurs de moins de 16 ans accueillis au centre de formation dans le cadre d’une convention de préformation.

Le club de Bordeaux considérait que les gratifications qui étaient versées au sein de l’association amateur, support du club professionnel, à destination des jeunes joueurs de moins de 16 ans, sous convention de formation et ayant vocation à intégrer le centre de formation du club, pouvaient bénéficier du mécanisme d’assiette forfaitaire de cotisations prévu pour les personnes exerçant une activité rémunérée liée à l’enseignement ou à la pratique d’un sport dans le cadre d’une association de jeunesse ou d’éducation populaire agréée par le Ministère de la Jeunesse et des Sports.

Pour sa part, l’URSSAF estimait qu’un stage de formation ou une alternance  professionnelle au sein d’une association sportive, ne constituait pas l’exercice d’une activité rémunérée liée à l’enseignement ou à la pratique d’un sport permettant de bénéficier de l’assiette forfaitaire de cotisations sociales.

Par l’arrêt commenté, la Cour de Cassation approuve la Cour d’appel d’avoir validé le redressement et privilégie  le fait que ces jeunes, avant 16 ans, dans le cadre de ce stage de formation rémunéré, continuaient parallèlement de suivre une scolarité obligatoire.

Dès lors ils ne pouvaient être considérés comme exerçant une activité rémunérée même si, en pratique, les gratifications versées par les associations sportives support des clubs professionnels, pour des joueurs entre 14 et 16 ans, dans le cadre de ses conventions de pré formation peuvent parfois déjà être relativement importantes.

Cet arrêt est l’occasion de rappeler l’existence en matière sportive, des mécanismes d’assiette forfaitaire et de franchise de cotisations sociales qui peuvent permettre aux clubs sportifs d’opérer des économies substantielles, mais doivent être utilisés avec vigilance.

Le mécanisme d’assiette forfaitaire de cotisations sociales est issu d’un arrêté du 27 juillet 1994 qui permet aux clubs sportifs, ou à un organisateur de manifestations sportives, de ne payer les cotisations de Sécurité Sociale que sur une assiette forfaitaire, et non sur la totalité de la rémunération versée.

Ainsi, pour les rémunérations inférieures à 45 smic horaire, l’assiette forfaitaire correspond à 5 smic horaire, pour les rémunérations situées entre 45 et 60 smic horaire l’assiette forfaitaire correspond à 15 smic horaire, etc…jusqu’à une assiette forfaitaire de 50 smic horaire pour une rémunération mensuelle située entre 100 et 115 smic horaire.

L’adoption de ce dispositif a eu pour but de privilégier les déclarations d’embauche officielles  même  sur des faibles rémunérations ( temps partiel...) et  d’éviter les tentatives pouvant exister au sein de certains clubs ou associations sportives, de ne pas déclarer les salariés embauchés pour de faibles volumes horaires, préférant des paiements sous forme de frais de déplacement parfois fictifs, ou autres mécanismes de contournement.

A noter cependant : ce mécanisme d’assiette forfaitaire  ne s’applique qu’aux personnes exerçant dans le cadre d’organismes à but non lucratif, dont pouvait, dans l’arrêt commenté, faire partie de l’association loi 1901 gérant le secteur amateur du club professionnel.

Dans le même ordre d’idée, une circulaire interministérielle du 28 juillet 1994 permet aux clubs sportifs de verser certaines sommes en franchise de cotisations, aux sportifs ou aux personnes qui participent ou assument, des fonctions nécessaires à l’encadrement et à l’organisation des manifestations sportives pour le compte des clubs ou des organisateurs (guichetiers, billettistes, accompagnateurs, collaborateurs occasionnels;  les arbitres disposant eux de leur propre mécanisme d’exonération en application de l’article L.241-16 du Code de la Sécurité Sociale.)

Ainsi dans la limite de 5 manifestations par mois, une somme correspondant en 2019 à 130 euros par manifestation, peut être versée en exonération de cotisations.

Cette exonération ne concerne pas les cotisations AGS et assurance  chômage si le bénéficiaire  perçoit parallèlement  un salaire soumis à cotisations au sein du club.

Ce mécanisme est utilisé par de nombreux « petits »  clubs pour gratifier certains sportifs ou employés occasionnels,  puisque cette mesure est réservée à ceux  employant moins de dix salariés permanents à l’exclusion des sportifs eux-mêmes.

Attention cependant : ce mécanisme de franchise de cotisations  ne s’applique pas aux membres du corps médical et  paramédical, aux professeurs, moniteurs et éducateurs sportifs chargés de l’enseignement du sport, ni aux personnels administratifs desdites structures.

Les deux mécanismes (assiette forfaitaire et franchise) peuvent se cumuler.

D’une manière générale, comme en témoignent de réguliers redressements, ces dérogations sont appréciées strictement par l’URSSAF et les juridictions, de sorte que même si elles apparaissent évidemment utiles et favorables aux clubs sportifs, elles doivent être maniées avec prudence.

L'Equipe Droit du Sport

DERBY AVOCATS

A rapprocher : CA  TOULOUSE 19 mai 2017 n° 14/03922


Les données personnelles et le droit français

 

Le Règlement Général sur la Protection des Données est entré en vigueur le 25 mai 2018 (voir précédent article du mois de mai 2018 sur le présent site) : tous les acteurs professionnels ont alors dû se mettre en conformité avec ces nouvelles exigences en matière de gestion de données personnelles, alors même que le législateur français n’a lui-même promulgué qu’ultérieurement une loi sur le sujet, et que la CNIL continue, plusieurs mois après, de rendre des délibérations pour son application...

Retour sur six mois de textes parus en droit français dans le prolongement de l’entrée en vigueur du Règlement CE RGPD, tant au niveau législatif et exécutif (1) qu’administratif (2).

  1. Loi 2018-493 et Ordonnance 2018-1125

Sur le fond c’est tout d’abord la Loi 2018–493 du 20 juin 2018 qui a adapté la Loi informatique et libertés du 6 janvier 1978 ; ainsi, et à titre d’exemples :

  • la réforme faisant passer la France de son ancien système déclaratif à un système désormais de contrôle en aval, les dispositions relatives à l'obligation de déclaration préalable auprès de la CNIL ont essentiellement disparu, à quelques exceptions près (données de santé notamment) ;
  • corrélativement les pouvoirs de contrôle de la CNIL sont étendus, notamment pour les opérations en ligne, que les contrôleurs peuvent désormais réaliser sous une identité d'emprunt (art. 5 Loi 2018–493 du 20 juin 2018 / art. 44 Loi informatique et libertés du 6 janvier 1978).

Sur la forme c’est ensuite l’Ordonnance 2018–1125 du 12 décembre 2018 qui a plus récemment donné un « plan plus lisible, ordonné et cohérent » à la Loi du 6 janvier 1978 (selon les termes du compte rendu du Conseil des ministres du 12 décembre 2018, même si le nombre d’articles de ladite loi est à cette occasion passé de 72 à 128…) ; ainsi :

  • les nouvelles dispositions RGPD ont essentiellement été concentrées aux articles 42 à 86 de la Loi du 6 janvier 1978, concernant notamment le nouveau droit à la portabilité des données (art. 55), le Registre des activités de traitement et le Délégué à la protection des données (art. 57), ou encore l’analyse d’impact de protection des données (art. 62) ;
  • sans oublier les autres Codes concernés par ces mesures, tels que le Code pénal sanctionnant « d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende le fait d'entraver l'action de la Commission nationale de l'informatique et des libertés » (art. 226-22-2 Code pén.)

Toutefois cet édifice juridique n’en est toujours pas à son terme dès lors que cette dernière Ordonnance n’entrera en vigueur qu’en même temps que le futur Décret devant modifier le Décret informatique et libertés du 20 octobre 2005... mais ce tout de même au plus tard le 1er juin 2019.

2. Délibérations et Modèles CNIL

Parallèlement aux Pouvoirs législatif et exécutif, l’Administration œuvre également, au niveau de la CNIL, pour aider les utilisateurs à appliquer le droit en vigueur.

En premier lieu la CNIL multiplie les notes « pratiques » et autres modèles accessibles sur son site Internet cnil.fr, dont notamment à souligner un registre type permettant à tout organisme de recenser au moins les données à caractère personnel dont il assure le traitement (fichiers clients, salariés, fournisseurs, etc...)

En second lieu la CNIL a également récemment défini, aux termes de deux Délibérations du 11 octobre 2018 (2018–326 et 2018–327), les types d’opérations de traitement suffisamment risqués pour qu’une « analyse d’impact » soit requise (à savoir essentiellement en matière de santé, ressources humaines, localisation ou encore logements sociaux).

Néanmoins sur ce point non plus la CNIL n’a pas « dit son dernier mot », dès lors qu’elle doit encore prochainement publier une liste des traitements qui, à l’inverse, ne présentant pas de risque élevé, ne sont donc pas soumis à la réalisation d’une telle analyse d’impact.

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Rendez-vous est donc d’ores et déjà pris en 2019 pour surveiller ces nouvelles dispositions à venir tant sur le plan réglementaire qu’administratif.

Julie Gringore