Cas de force majeure pour annuler une rencontre sportive ?
SM Caen. Samuel Chevret, avocat spécialiste en droit du sport, se penche sur l'affaire de l'ajournement du match Caen - Nîmes.
Pour en savoir plus sur l'article, cliquez ici : http://www.ouest-france.fr/le-pilote-un-cas-de-force-majeure-2028986
Interview Maître CHEVRET par le site droit du sport.com
Interview Maître CHEVRET par le site droit du sport.com
Pour lire cette interview merci de cliquer ici : http://www.droitdusport.com/imprimer/?id=37bc2f75bf1bcfe8450a1a41c200364c
Débat sur la convention collective des personnels administratifs et assimilés du football
Le SNAAF en place le Lundi 8 Octobre à 18H30 émission en LIVE pour répondre à vos principales interrogations en matière de droit du travail et droit social.
Quelle compétence pour connaître des décisions des fédérations sportives arrêtant un classement au niveau national ?
NOTE SOUS ORDONNANCE DU CONSEIL D'ETAT SECTION CONTENTIEUX - N° 345633 du 13 JANVIER 2011
L'ordonnance commentée constitue à notre connaissance la première illustration jurisprudentielle de l'application en matière sportive des nouveaux articles R. 311-1 et suivants du Code de Justice Administrative dans leur rédaction issue du décret 2010-164 du 22 février 2010, et notamment pour ce qui touche à la compétence des tribunaux devant connaître des décisions des fédérations sportives arrêtant un classement au niveau national.
1- En l'espèce, un arbitre de football ayant évolué au niveau fédéral 2, contestait la décision du Conseil Fédéral de la Fédération Française de Football en ce qu'elle l'avait rétrogradé et remis à disposition de sa ligue régionale.
Plus précisément, c'est la légalité de l'annexe 3 du règlement intérieur de la Direction Nationale de l'Arbitrage de la Fédération Française de Football qui était contestée, en ce qu'elle prévoit que l'arbitre qui évoluait l'année précédente au niveau fédéral 1 et qui n'a pas été classé suite à une rétrogradation dans les 8 premiers du classement des arbitres de niveau fédéral 2, se voit automatiquement remis à disposition de sa ligue régionale.
2- La première difficulté devant être tranchée touche au point de savoir si cette décision de rétrogradation doit être assimilée à une décision individuelle prise par une fédération sportive dans l'exercice de ses prérogatives de puissance publique et relèverait, de ce fait, de la compétence du Tribunal Administratif dans le ressort duquel se situe la résidence du requérant à la date de la décision attaquée.
Ce point a été tranché par le Conseil d'Etat (CE 19.06.2009 n° 323621 BITON/FFF) au motif suivant :
"Considérant que la décision attaquée prise par le Conseil Fédéral de la Fédération Française de Football, qui constitue un organisme collégial à compétence nationale, est une décision fixant le tableau des effectifs des arbitres de Fédéral 1 et de Fédéral 2 pour la saison 2008-2009 qui intéresse l'ensemble des arbitres qui y sont inscrits, et n'a pas le caractère d'une décision individuelle prise à l'encontre d'une personne physique ou morale au sens des dispositions de l'article R.311-2 du Code de Justice Administrative ; qu'elle relève de la compétence du Conseil d'Etat en premier et dernier ressort".
Ainsi, même si à première analyse il aurait pu être considéré que l'arbitre faisant l'objet d'une rétrogradation subissait une décision individuelle lui faisant grief, le Conseil d'Etat estime qu’en raison des conséquences sur les autres arbitres que pourrait avoir une mesure de réintégration ou de modification de classement initial, cette décision de l'organe dirigeant de la fédération sportive relève de la compétence en dernier ressort du Conseil d’Etat.
Ainsi, dans ses conclusions sous l'arrêt susvisé, le rapporteur public Madame BOURGEOIS-MACHUREAU précisait :
« Vous avez implicitement admis dans votre décision du 3 mars 2008 Derrien, à mentionner aux Tables, votre compétence pour connaître de la décision collective par laquelle le Conseil Fédéral de la Fédération Française de Football avait validé le classement des arbitres pour la saison 2006-2007. Le raisonnement qui sous-tend une telle analyse est simple : s'agissant d'un classement assorti de la détermination ex ante du nombre des promotions et des rétrogradations entre catégories ainsi que de l'effectif de chaque catégorie, tout changement dans la situation d'un arbitre est susceptible d'emporter des conséquences sur la situation des autres. La configuration en cause apparaît dès lors similaire à celle qui prévaut pour les résultats d'une compétition sportive et le classement des clubs y afférent. Et votre jurisprudence en la matière est clairement définie : vous vous estimez compétent pour juger de la légalité de telles décisions collectives. Voyez en ce sens votre décision du 25 avril 2001, Association Sportive Nancy Lorraine et autres, p.196 et votre décision de section du 25 juin 2001, Société à objet sportif "Toulouse football club", p.281 aux conclusions d'Isabelle de Silva.
Dans cette mesure nous pensons comme le tribunal administratif qui vous a renvoyé l'affaire sur le fondement de l'article R.351-2 du Code de justice administrative, que vous êtes bien compétent pour connaître en premier et dernier ressort de la décision du Conseil Fédéral du 12 septembre 2008 ».
3- La jurisprudence semblait donc fixée jusqu'à la parution du décret 2010-164 du 22 février 2010 modifiant la rédaction des articles R.311-1 et suivants du Code de Justice Administrative.
Notamment l'article R.311-1 4° qui prévoyait la compétence du Conseil d'Etat pour connaître en premier et dernier ressort « des recours dirigés contre les décisions administratives des organismes collégiaux à compétence nationale », se trouve réécrit, la compétence du Conseil d'Etat en premier et dernier ressort étant déterminée de manière exhaustive, à travers l’énumération des autorités concernées par cette compétence en premier et dernier ressort.
En matière sportive seuls relèvent désormais de cette compétence, les recours contre les décisions prises au titre de leur mission de contrôle et de régulation par l'agence française de lutte contre le dopage et l'autorité de régulation des jeux en lignes.
4- Demeurait alors la question de savoir si les décisions prises par les organes dirigeants des fédérations sportives pouvaient relever de l'article R.311-1 2° du Code de Justice Administrative dans sa nouvelle rédaction, en ce qu'il prévoit notamment la compétence du Conseil d'Etat en premier et dernier ressort pour connaître des recours dirigés « contre les actes réglementaires (…) des autorités à compétence nationale ».
Le Président de la section contentieux du Conseil d'Etat répond dans la décision commentée par la négative en précisant que :
« Le litige ainsi soulevé ne peut être regardé ni comme un recours dirigé contre un acte réglementaire d'un ministre et des autorités à compétence nationale et contre leurs circulaires et instructions de portée générale au sens des dispositions de l'article 2ème de l'article R.311-1 du Code de la justice administrative, ni comme un recours dirigé contre une décision prise par un organe de l'une des autorités énumérées par le quatrièmement de cet article au titre de sa mission de contrôle et de régulation et, par suite, ne relève pas de la compétence du Conseil d'Etat en tant que premier et dernier ressort. En conséquence, le litige est renvoyé devant le Tribunal Administratif de PARIS où le Conseil Fédéral de la Fédération Française de Football a son siège ».
La jurisprudence concernant le caractère « collectif » des décisions prises par les fédérations sportives et arrêtant un classement, est ainsi implicitement maintenue puisqu’à défaut, il aurait été fait application des dispositions de l'article 312-17 du Code de Justice Administrative prévoyant pour les décisions individuelles la compétence du Tribunal Administratif dans lequel le requérant a son siège.
5- Cette décision aura pour effet de concentrer devant le Tribunal Administratif de PARIS - dans le ressort duquel la quasi-totalité des fédérations sportives ont leur siège - le contentieux touchant à la contestation des décisions prises par les organes collégiaux desdites fédérations.
Ce contentieux ne sera pas nécessairement symbolique puisqu'au delà du seul cas touchant au classement des arbitres de football, le Conseil d'Etat avait, à plusieurs reprises, reconnu le caractère « collectif » des décisions homologuant les classements des championnats, jugeant recevables sous l'ancienne rédaction du Code de Justice Administrative les recours qui lui étaient adressés par tous les clubs ayant un intérêt à contester l'homologation des classements effectués au niveau national (en ce sens CE n° 308561, 4 avril 2008 Stade Rennais/Ligue de Football Professionnel, au sujet d'un recours en annulation de la décision de la commission d'organisation des compétitions de la Ligue de Football Professionnel, homologuant le classement final du championnat de France de première division pour la saison 2006/2007).
6- Enfin concernant le fond du dossier, le Tribunal Administratif de PARIS statuant sur renvoi du Conseil d'Etat a suspendu la décision de rétrogradation estimant caractérisés, d’une part l'existence d'une urgence en ce que la décision portait atteinte à la rémunération du requérant et entraînait sa rétrogradation définitive, et d'autre part, l'existence d'un doute sérieux sur la légalité de la disposition réglementaire ayant fondé la décision attaquée (en ce sens TA PARIS BOILLIN/FFF n°1100912 du 14 février 2011, déjà en ce sens TA PARIS BONIN/FFF n° 0613820 du 21 janvier 2010, décision récemment confirmée par la Cour Administrative d'Appel de PARIS - CAA PARIS 6 octobre 2011).
Samuel CHEVRET
Avocat à la Cour d'appel de PARIS
Le droit commun au service du sportif rémunéré
Fréquemment les clubs, plutôt que d'avoir à subir les diverses charges afférentes à un contrat de travail, prévoient une rémunération de ses membres au coup par coup, sous forme de primes et de défraiements divers.
Deux jugements rendus consécutivement par le conseil de prud'hommes et le TGI de Caen permettent à un sportif dont l'activité ne serait pas considérée comme résultant d'un contrat de travail de forcer le club à exécuter ses engagements en ayant recours au juge du droit commun.
En l'espèce, une joueuse de tennis de table avait signé un contrat prévoyant le versement d'une rémunération de 2400 Francs par match plus diverses primes. Le club en proie à des difficultés financières demande à la joueuse d'accepter la réduction de sa rémunération à 400 francs par match. La joueuse refuse et porte l'affaire devant le conseil des prud'hommes. Celui-ci se déclare incompétent indiquant qu'il n'existe pas de contrat de travail entre le club et la joueuse.
La Cour de Cassation notamment à travers l'arrêt Société Générale (Soc. 13 novembre 1996, JCP 1997 E, II, 911, note J. Barthélémy) a clairement défini les éléments caractéristiques du lien de salariat. Les trois éléments caractérisant l'existence d'une relation salariée, et partant d'un contrat de travail, sont l'existence d'un travail, d'une rémunération et d'un lien de subordination unissant le salarié à son employeur.
L'existence d'un travail et la présence d'une rémunération n'étaient pas discutés en l'espèce.
En revanche, même si les stipulations contractuelles permettaient à la joueuse de toucher pendant les huit mois de la saison régulière entre 6 000 et 8 000 francs mensuels, le juge a considéré qu'il n'y avait pas subordination et donc pas de contrat de travail.
Il est vrai que le contrat ne prévoyait aucune obligation relative à la présence à des entraînements, au respect de directives relatives à un règlement intérieur où à l'application de méthodes d'entraînement précises. En résumé la joueuse, domiciliée à 200 km de son club, avait toute latitude pour se préparer au mieux, à charge pour elle de se présenter lors des matches avec un niveau conforme à son rang (n° 52 française).
L'appréciation de la présence d'un lien de subordination s'effectue donc au cas par cas, et permet de retrouver en jurisprudence une extrême diversité de décisions.
Ainsi récemment l'existence d'un lien de subordination a été niée (Soc. 25 mars 1997 Charvet-Quemin) puis reconnue (Soc. 10 juillet 1997 SA Club Barclay pour un professeur de tennis; niée (Soc. 24 Mars 1993, Dalloz 1995, Som. 68 obs. J. Mouly) puis reconnue (Soc. 15 janvier 1997 Samoyeau) pour un entraîneur d'une équipe amateur de football, ou encore reconnue pour un joueur de Hockey sur glace (Soc. 23 janvier 1997, RJES n° 44 p. 35, obs. J. Mouly).
Enfin il convient de relever qu'en matière sportive l'entrée en vigueur de la Loi Madelin du 11 février 1994 qui fait apparaître à l'article L. 120-3 du Code du travail la notion de subordination juridique permanente pour caractériser l'existence d'un contrat de travail ne semble pas avoir modifié les critères d'appréciation de ce lien de subordination.
Les arrêts récents de la Cour de cassation (Soc. 23 janvier 1997, prec., Soc . 25 février 1998, Terzian) reprennent en effet la définition du lien de subordination résultant de l'arrêt Société Générale à savoir " l'exécution d'un travail sous l'autorité de l'employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ".
Mais au-delà, l'intérêt supplémentaire de l'espèce réside dans la suite qui fut donnée à l'incompétence du conseil de prud'hommes. En effet plutôt que d'interjetter appel, la joueuse décidait de porter l'affaire devant le juge du droit commun.
Le Tribunal de Grande Instance était donc amené à se prononcer sur l'inexécution du contrat par lequel une sportive s'engageait à " mettre ses talents à la disposition du club " en contrepartie d'une rémunération de base de 2400 francs par match joué.
Aucune qualification précise n'était donnée au contrat, même si à travers la prestation de service fournie celui-ci semblait pouvoir s'intégrer dans la catégorie des contrats d'entreprise.
Faisant application des articles 1134 et 1184 du code civil, le tribunal estima que la rupture du contrat ne pouvait être imputé à la joueuse dès lors qu'une incertitude pesait sur l'exécution du contrat et que cette incertitude traduisait le refus par le club d'exécuter la convention de bonne foi.
La valse-hésitation du club en proie des difficultés financières conférait donc le droit à la joueuse de mettre en œuvre l'exception d'inexécution prévue par l'article 1184 du Code civil.
Le tribunal légitime ainsi, a posteriori, le choix fait par la joueuse de ne pas disputer les rencontres pour le compte d'un club qui tentait visiblement de la faire patienter le plus longtemps possible.
Le club se voyait donc condamné à verser les sommes auxquelles la joueuse aurait pu prétendre si elle avait disputé tous les matches de la saison.
Le sportif qui s'est ménagé la preuve d'un engagement pris par son club peut donc en poursuivre l'exécution devant le juge civil, lorsque les éléments du contrat de travail ne sont pas réunis. Les dommages et intérêts perçus seront non imposables. Les droits du sportif sont alors sauvegardés malgré ce type de rémunération qui, il faut le rappeler, se situe à la frontière des obligations légales.
Ainsi en conclusion, il convient de mettre en garde club et sportif sur les dangers que constituent de tels accords en matière de rémunération de prestation sportive. Les économies réalisées (absence de charges sociales) apparaissent en effet souvent dérisoires avec les risques inhérents à ces agissements (absence de couverture sociale, risque de redressement fiscal voire de poursuites pénales liés au travail clandestin ou à la non-déclaration de revenus). De petites économies qui se justifient d'autant moins que des dispositifs d'allégements de charges sociales sont prévus en matière de rémunération des sportifs (Arrêté du 27 juillet 1994, RJES n°32, septembre 1994, p. 64).
Conseil de prud'hommes de Caen 25 novembre 1997
TGI de Caen 6 avril 1999
La présente chronique est parue en intégralité à la revue Pratique de Droit Social, Ed. Lamy, n° 40, juillet 1999.