Revue de Presse Département droit du sport
Me Samuel CHEVRET interrogé par Ouest France sur la notion d'intérêt supérieur du football et sur le passage à 22 clubs en Ligue 2:
https://www.ouest-france.fr/sport/football/le-mans-fc/ligue-2-22-c-est-quoi-l-interet-superieur-du-football-6842449
Me Romuald PALAO interrogé par France Bleu sur les recours du Toulouse Football Club contre l'arrêt du championnat et sa relégation en Ligue 2 :
Ligue 2 de Football à 22 et intérêt supérieur du football
L’assemblée générale de la LFP vient de décider que, pour la saison 2020-2021, la ligue 2 serait constituée de 22 clubs.
Cette décision n’apparait pas contraire aux textes puisque l’article 3 de la convention FFF/LFP prévoit que le championnat de Ligue 2 se compose d’un groupe unique « de 16 clubs au moins et 22 clubs au plus ».
Pour autant le comité exécutif de la Fédération va devoir prochaine décider s’il s’empare de cette décision, et choisit de la réformer.
Avec quelle marge de manoeuvre?
L’article 5 de la convention FFF LFP précise :
« …A l'exception des décisions d'ordre disciplinaire le Comité Exécutif peut se saisir, conformément à l'article 13 du Règlement Intérieur de la F.F.F., pour éventuellement les réformer, de toutes les décisions prises par l'Assemblée et par les instances élues ou nommées de la L.F.P., qu'il jugerait contraires à l'intérêt supérieur du football ou aux statuts et règlements. »
Reste pour la FFF et le Comité Exécutif à définir si ce passage d’une Ligue 2 à 22 clubs porte atteinte aux intérêts supérieurs du Football.
La jurisprudence du Conseil d’Etat permet de tracer les contours de la réflexion, sans pour autant permettre de trancher de manière affirmative et certaine, puisque cette notion « d’intérêt supérieur du sport » présente dans la quasi totalité des règlements des fédérations sportives, ne dispose pas de définition précise et fait l’objet d’une appréciation au cas par cas par les juridictions.
Dans une décision du 12 avril 2017 le Conseil d’Etat a cependant précisé :
« que la réglementation et la gestion du championnat de France de rugby professionnel de 1ère division relèvent de la seule compétence de la Ligue nationale de rugby ; et que la Fédération française de rugby ne saurait intervenir dans la réglementation et la gestion de cette compétition et réformer les décisions prises par la Ligue dans l'exercice de cette compétence, que si ces décisions sont contraires aux statuts de la Fédération ou portent atteinte aux intérêts généraux dont la Fédération a la charge »
Dans cette affaire la Fédération Française de Rugby avait invoqué l’intérêt supérieur du rugby pour remettre en cause une décision de report de match pris par la LNR.
Or cette décision de la FFR fait l’objet d’une suspension par le conseil d’Etat au motif qu’il existe un doute sérieux sur sa légalité.
En effet il est jugé que :
« La décision de report prise, dans les circonstances de l'espèce, par la Ligue dans le cadre de la compétence d'organisation et de gestion du championnat qui lui a été déléguée, au vu de la situation prévalant à la date de sa décision, ne paraît aucunement porter atteinte aux intérêts généraux dont la Fédération a la charge, seuls susceptibles de permettre légalement à cette dernière de réformer des décisions prises par la Ligue dans le cadre de sa compétence (…) au demeurant, il apparaît qu'une décision de report de matches, qui permet de retenir pour le classement du championnat des résultats sportifs finalement obtenus sur le terrain, préserve davantage l'équité sportive qu'une décision annulant la décision de report après la date prévue pour les rencontres, avec les incertitudes qui peuvent en découler pour déterminer les résultats à prendre en compte pour ces rencontres et pour établir, en conséquence, le classement de la compétition ».
En synthèse :
- l’intérêt supérieur du sport concerné ne doit pas être un motif pour une Fédération de venir interférer dans l’organisation des compétitions qu’elle a délégué à la Ligue Professionnelle, sauf circonstances exceptionnelles dépassant le cadre de la stricte organisation et gestion du championnat concerné.
- Le respect de l’équité sportive et de l’intégrité des compétitions peut être l’un des guides permettant d’apprécier cette notion d’intérêt supérieur du sport
La FFF est elle donc susceptible de considérer que la décision de jouer à 22 en Ligue 2 entre de ce cadre?
Difficile d’être affirmatif.
En premier lieu on peut relever que la FFF elle même a pris en compte le caractère exceptionnel de la situation pour adapter ses propres règlements.
Difficile donc de reprocher à la LFP d’en faire de même.
En outre dans son PV du 16 avril 2020 la FFF a semblé vouloir, ce qui était conforme aux textes, ne pas empiéter sur les prérogatives de la LFP notamment pour ce qui touche aux accessions venant du National
En ce sens extrait du PV du 16 avril 2020 :
« Règles propres aux championnats nationaux (hors National 1 et D1 Féminine) :
Les règles suivantes s’appliqueront spécifiquement aux championnats nationaux (hors Championnat National 1 et Championnat de France Féminin de Division 1) :
- Le nombre d’accessions et de relégations à appliquer sera celui expressément prévu dans le règlement du championnat concerné »;
Ainsi la règle selon laquelle il ne pouvait être dérogé aux règles d’accession et de relégation prévues par les règlements des championnats ne s’applique qu’aux championnats dont la FFF à la gestion exclusive.
Donc comment aujourd’hui considérer que le fait que la LFP adopte d’autres modalités d’adaptation de ses propres règlements puisse constituer une atteinte à l’intérêt supérieur du football alors que la FFF lui en a, au moins implicitement, laissé la possibilité?
L’un des arguments dans le sens d’un atteinte à l’intérêt supérieur, serait l’uniformité des règles qui devrait exister au sein de la fédération et notamment le caractère impératif d’une descente au niveau inférieur pour des questions d’équité sportive.
Pour autant il pourrait être considéré qu’un tel impératif revient pour la FFF à faire preuve d’ingérence dans l’organisation d’un championnat en principe délégué à la LFP.
Concernant l’atteinte à l’équité invoquée par les club de L1 rétrogradés, là encore il pourrait être considéré que cette question relève de l’organisation des compétitions dont la LFP à la charge, et non de l’intérêt supérieur du football que peut contrôler la FFF.
La surcharge du calendrier découlant de la décision de la LFP, semble également difficilement plaidable puisque dans ce cas pourquoi avoir laissé réglementairement la possibilité de disposer d’une Ligue 2 à 22 clubs (article 3 convention FFF/LFP).
Enfin concernant les risques de recours potentiels de la part des clubs et l’insécurité juridique pouvant découler d’une telle décision l’argument ne serait pas nécessairement décisif au regard du nombre de recours déjà engagés AVANT cette décision.
La décision du COMEX de la FFF relèvera donc d’un arbitrage entre volonté politique d’affirmation d’une autorité et d’une cohérence globale au sein de l’ensemble de la FFF dont les clubs professionnels font partie, et appréciation des risques indemnitaires pouvant découler d’une telle décision si elle devait être par la suite annulée.
En effet à supposer que la FFF décide de réformer la décision de la LFP en maintenant la Ligue 2 à 20 clubs cette décision fera sans nul doute l’objet d’un recours.
Soit par la LFP (dont il sera interessant de voir si une même majorité se dégage pour contester la décision de la FFF que pour voter le passage à 22 clubs), soit par les clubs d’Orléans et du Mans qui se trouveraient alors lésés par la décision de la FFF.
Dans cette hypothèse il appartiendrait aux juridictions administratives d’apprécier dans un premier temps si il existe un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée.
Au regard des contours incertains de la notion « d’intérêt supérieur du football » il n’est pas absolument certain d’un tel doute sérieux puisse être retenu au stade des référés.
En revanche le risque de fortes condamnations indemnitaires ultérieures est avéré si une décision de justice venait à considérer que l’intérêt supérieur du football ne justifiait pas de remettre en cause la décision de la LFP.
En effet dans cette hypothèse la perte de revenus serait avérée de manière quasi certaine pour les clubs lésés s’agissant d’une décision remettant en cause, sans autre variable d’appréciation, le droit de se maintenir en Ligue 2 et de bénéficier de l’ensemble des ressources économiques liées à la participation à ce championnat professionnel.
L'équipe Droit du Sport
Derby Avocats
21 mai 2020