Sportifs professionnels et inaptitude
CAA Bordeaux 8 mars 2019 n°16BX01563
☞ Ce qu’il faut retenir:
Doit être approuvée la décision du Ministre du travail ayant confirmé l’inaptitude d’un joueur professionnel de football victime d’une embolie pulmonaire, au regard de contre-indications liées à de longs déplacements en avion, et peu important le fait que ce joueur ait postérieurement été recruté d’autres clubs professionnels.
☞ Pour approfondir
Un joueur de football professionnel est victime d’une embolie pulmonaire et se voit déclarer inapte à son poste. Le club lui transmet une proposition de reclassement qu’il refuse. Le joueur se trouve par la suite licencié pour inaptitude et du fait de l’impossibilité de reclassement.
Un recours est formé à l’encontre de l’avis d’inaptitude lequel est confirmé par l’Inspecteur du travail local puis par le Ministre du travail sur recours hiérarchique.
Le Tribunal administratif de Toulouse dans une première décision du 03 mars 2016 rejette la demande d’annulation de la décision du Ministre du travail, et c’est cette décision qui confirmée par l’arrêt commenté.
Outre divers arguments procéduraux, le joueur soutenait qu’il se trouvait parfaitement rétabli au jour des avis d’inaptitude, son embolie pulmonaire l’ayant affecté plus de deux ans auparavant.
Il soutenait également que son aptitude à exercer sa profession de joueur de football était démontrée par le fait que d’autres clubs professionnels l’avaient recruté postérieurement à la rupture de son contrat de travail initial.
Ces arguments n’emportent pas la conviction des Juges qui considèrent, d’une part, que si les certificats médicaux produits par le joueur faisaient état de l’absence de séquelles majeures ils n’excluaient pas formellement tout risque de récidive; et d’autre part, que les éléments liés à un recrutement postérieur par d’autres clubs sont sans incidence sur la légalité des décisions prononçant l’inaptitude, laquelle s’apprécie au jour où elles ont été prises.
Cette motivation apparaît sévère pour un sportif qui en pratique avait poursuivi sa carrière sans difficulté, mais elle confirme la difficulté à remettre en cause, dans le cadre d’une discussion sur le fond, les avis médicaux d’aptitude ou d’inaptitude (déjà en ce sens CE 18.05.2017 n° 402186 SASP Football Club de Nantes c/ GRAVGAARD confirmant une décision de la Cour administrative d’appel de Nantes du 07.06.2016 ayant validé un avis d’aptitude médicale, non sans avoir au préalable ordonné une expertise judiciaire).
Or qu’il s’agisse de la défense des intérêts des clubs ou des sportifs, la période au cours de laquelle se cristallise, ou non, l’inaptitude revêt de forts enjeux stratégiques.
En effet, les conséquences de tels avis sont extrêmement importants puisque les sportifs professionnels sont salariés, de par détermination de la loi, sous contrat à durée déterminée, de sorte si une décision d’inaptitude est remise en cause, la décision de rupture du contrat fondée sur ce motif devient nécessairement sans fondement, et entraîne pour le sportif le droit à percevoir l’intégralité des salaires prévus au contrat de travail jusqu’à l’issue de celui-ci.
A l’inverse, si l’inaptitude se trouve validée, le club ne devra régler qu’une indemnité équivalente à l’indemnité légale de licenciement (Article L.1226-4-3 du Code du travail), ce qui correspond à un différentiel important pour des rémunérations se comptant en dizaine de milliers d’euros et des contrat pouvant courir pendant 5 saisons sportives.
La vigilance s’impose donc, et en cas de litige il faudra faire usage de nouvelle procédure contestation d’avis émis par le médecin du travail, ouverte à l’employeur et salarié (saisine du Conseil de Prud’hommes en la forme des référés dans un délai de 15 jours, articles L 4624-7 et R 4624-45 du Code du Travail).
Le Conseil de Prud’hommes dispose de la faculté de recourir aux compétences du médecin inspecteur du travail, ce qui devrait permettre notamment d’échapper aux discussions touchant à un éventuel conflit d’intérêts pouvant résulter du fait que les premières orientations vers une inaptitude sont souvent données par le médecin du club.
Or celui-ci est souvent salarié du club, et peut être considéré en cas de litige comme susceptible d’incliner vers une inaptitude, moins couteuse pour le club et lui évitant de maintenir dans ses effectifs un sportif qui serait considéré comme ne pouvant plus donner la pleine mesure de son talent.
Une fois rendue, la décision du Conseil de Prud’hommes se substitue aux avis, propositions, conclusions écrites ou indications contestées.
En cas de confirmation de l’inaptitude, pour remettre en cause une rupture de contrat les seules des discussions susceptibles d’être menées toucheront au respect par l’employeur de son obligation de reclassement, et le cas échéant à l’absence de saisine avant la rupture du contrat, d’organismes paritaires susceptibles de constituer une garantie de fond pour le salarié.
Ainsi dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté le joueur est malgré tout parvenu à « sauver » la contestation de la rupture de son contrat de travail, malgré l’inaptitude validée, en faisant juger, dans le cadre d’une instance prud’homale, que le club n’avait pas respecté les garanties de fond prévues par la Charte du football professionnel, et notamment l’obligation de saisir préalablement à toute rupture du contrat la commission juridique de la Ligue de football professionnel (CA. Toulouse 20.04.2017 n° 14-03507)
A rapprocher : articles L4624-1 et suivants du Code du travail
L’équipe Droit du Sport
Derby Avocats
Droit d’auteur et droits voisins dans l’environnement numérique : la nouvelle Directive européenne à transposer
Dans l’attente de l’imminente publication au Journal Officiel de l’Union Européenne de la Directive « sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique » (adoptée par le Parlement le 26 mars et approuvée par le Conseil le 15 avril 2019), nous pouvons envisager les « mesures visant à assurer le bon fonctionnement du marché du droit d’auteur » (Titre IV) que les États membres auront à transposer dans les deux années suivant la publication à intervenir.
Considérant que depuis la précédente Directive dite DADVSI de 2001, « l'évolution rapide des technologies continue à modifier la manière dont les œuvres ou autres objets protégés sont créés, produits, distribués et exploités », le législateur européen a souhaité répondre aux nouvelles insécurités juridiques apparues en vingt ans, « tant pour les titulaires de droits que pour les utilisateurs, en ce qui concerne certaines utilisations, notamment transfrontières, d'œuvres ou autres objets protégés dans l'environnement numérique » (Considérant 3).
La nouvelle Directive a donc pour objectif notamment de rééquilibrer les rapports entre les titulaires de droits et les diffuseurs de contenus, au titre desquels sont particulièrement visés :
- « les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne » (type YouTube), vis-à-vis desquels les droits d’auteurs et droits voisins sont renforcés (1),
- « les agrégateurs d’informations » (type Google Actualités), à l’égard desquels un nouveau droit voisin est créé au bénéfice des éditeurs de presse (2).
1. Extension des droits vis-à-vis des fournisseurs de services de partage
Selon l’ancienne Directive DADVSI, les plateformes de partage de contenus en ligne n’étaient pas nécessairement responsables du contenu posté par leurs utilisateurs ; désormais ces mêmes plateformes devront « obtenir une autorisation, notamment par le biais d’un accord de licence, de la part des titulaires de droits concernés » (Considérant 64).
De tels accords de licence sont ainsi prévus par l’article 17 de la nouvelle Directive, précisant que « si aucune autorisation n’est accordée, les fournisseurs... sont responsables des actes non autorisés de communication au public » ; une telle responsabilité peut toutefois être écartée si le fournisseur concerné :
- déploie « les meilleurs efforts » (notion à préciser…) pour obtenir une telle autorisation, et à défaut garantit « l’indisponibilité des œuvres spécifiques »,
- agit « promptement, dès réception d’une notification suffisamment motivée de la part des titulaires de droit, pour bloquer l’accès aux œuvres et autres objets protégés ».
En outre, seront exemptés de ces contraintes :
- les fournisseurs de contenus « émergents », à savoir exerçant depuis moins de trois ans et ayant un chiffre d’affaires annuel inférieur à 10 millions d’euros,
- plus classiquement les diffusions de critiques, citations, caricatures et parodies.
Enfin le mécanisme est parachevé par des obligations, pour les diffuseurs, de transparence et de traitement « rapide et efficace » des plaintes des titulaires de droits le cas échéant.
2. Création d’un nouveau droit à l’égard des agrégateurs d’informations
La nouvelle Directive rappelle « qu’une presse libre et pluraliste est indispensable pour garantir un journalisme de qualité et l’accès des citoyens à l’information », et que les éditeurs de presse doivent être reconnus et davantage encouragés pour « promouvoir la disponibilité d’informations fiables » (Considérant 55).
Nous voyons donc éclore à l’article 15 de la nouvelle Directive un droit voisin inédit bénéficiant « aux éditeurs de publications de presse établis dans un Etat membre », opposable aux agrégateurs d’informations.
Sont toutefois notamment exemptés les « mots isolés ou très courts extraits d’une publication ».
Notons également la relative brièveté de ce nouveau droit, qui « expire deux ans après que la publication de presse a été publiée ».
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L’on peut aisément comprendre, à la lecture de tels enjeux, que de nombreux lobbies, défendant notamment la « diffusion libre » sur Internet, se soient opposés à l’adoption d’un tel projet.
Les eurodéputés français ont toutefois pour leur part majoritairement voté pour la nouvelle Directive, de sorte que les discussions au niveau désormais national aux fins de transposition dans le délai biennal devraient demeurer équilibrées... pour un rendez-vous législatif en principe d’ici 2021.
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Julie GRINGORE
mai 2019