Réforme du droit des marques : transposition en droit français de la Directive UE 2015/2436

Le 20 mars 2019 vient d’expirer le délai de consultation publique sur le projet d’Ordonnance du 15 février 2019 « Paquet Marques », transposant en droit français la Directive UE 2015/2436 du 16 décembre 2015 « rapprochant les législations des États membres sur les marques ».

Cela est l’occasion de présenter les nouvelles modifications qui seront ainsi apportées par le droit communautaire à notre droit national (la dernière réforme communautaire d'ampleur datait de la Directive UE du 21 décembre 1988, transposée en droit français par la Loi du 4 janvier 1991) ; chacun des six chapitres relatifs au droit des marques françaises dans le Code de la Propriété Intellectuelle étant concerné, leurs principales modifications seront ci-après exposées.

Chapitre 1 : Eléments constitutifs de la marque

Tout d’abord, l’exigence de représentation graphique est supprimée du nouvel article L. 711-1 CPI, selon lequel le signe doit simplement « pouvoir être représenté dans le registre national des marques de manière à permettre à toute personne de déterminer précisément et clairement l’objet de la protection » ; pourront en conséquence dorénavant être déposées des marques sonores, mobiles, multimédias...

Le nouvel article L. 711-2 CPI exclut par ailleurs expressément les signes dépourvus de tout caractère distinctif, ce critère pouvant toujours être apprécié comme auparavant en fonction des produits et services visés (prohibition des marques « descriptives »), mais à l’avenir également indépendamment desdits produits et services (consécration de la notion de distinctivité autonome, dont la jurisprudence s’était d’ores et déjà emparée pour annuler des marques telles que « J’aime Paris »).

Quant aux antériorités opposables à un dépôt de marque, la liste préexistante (marque, dénomination sociale, nom commercial...) est notamment complétée par les « nom, image ou renommée d’une institution, d’une autorité ou d’un organisme de droit public » (art. L. 711-4 CPI) ; la jurisprudence permettant d’opposer un nom de domaine antérieur à un dépôt de marque n’est pour sa part pas spécialement consacrée, ce qui ne devrait toutefois pas l’empêcher de continuer de s’appliquer en pratique.

Chapitre 2 : Acquisition du droit sur la marque

Un nouvel article prévoit le cas - malheureusement assez fréquent pour devoir être envisagé par le projet d’Ordonnance - du dépôt enregistré par un mandataire indélicat en son nom propre en lieu et place de celui de son mandant ; le titulaire légitime pourra désormais s’y opposer en demandant la rétrocession de la marque à son profit sur ce fondement légal spécifique, et ce dans un délai de prescription de 5 ans à compter de la publication de la demande d’enregistrement (art. L. 712-6-1 CPI).

Chapitre 3 : Droits conférés par l'enregistrement

Il est expressément précisé, en conformité avec la jurisprudence d’ores et déjà établie sur ce point, que les interdictions de copie d’une marque concernent « l’usage dans la vie des affaires » (art. L. 713-2 et L. 713-3 CPI), ce qui permet de faire échapper aux poursuites l'utilisation d'une marque à titre privé, mais également à titre public lorsqu’aucun avantage économique n’en est tiré (notamment à titre d’information).

En outre, concernant l’utilisation commerciale d’un nom patronymique nonobstant l’enregistrement d’une marque tierce antérieure identique ou similaire, cette possibilité est étendue à « l’adresse » de la personne concernée, à tout le moins pour les personnes physiques (art. L. 713-6 CPI).

Chapitre 4 : Transmission et perte du droit sur la marque

En ce qui concerne la déchéance pour défaut d’exploitation d’une marque, le titulaire pourra toujours s’y opposer notamment s’il en a fait un usage « sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif », mais désormais également si cet usage est le fait d’un tiers avec le consentement du titulaire, ce qui réduit ainsi les risques de déchéance (art. L. 714-5 CPI).

Chapitre 5 : Marques de certification et marques collectives

La marque de certification a dorénavant sa qualification propre et indépendante de la marque collective, étant définie comme distinguant « les produits ou les services pour lesquels la matière, le mode de fabrication ou de prestation, la qualité, la précision ou d’autres caractéristiques sont certifiés par son titulaire » (art. L. 715-1 CPI).

Chapitre 6 : Contentieux

La principale modification procédurale est constituée par le transfert de compétence du Tribunal de Grande Instance à l’INPI en matière de nullité et de déchéance des marques (art. L. 716-5 CPI) ; des dérogations sont toutefois prévues notamment lorsque de telles demandes de nullité ou de déchéance sont formulées de manière « connexe » à une action en contrefaçon, dont seul le Tribunal de Grande Instance continuera de connaître.

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L’essentiel de ces mesures devrait être conservé dans la version définitive de l’Ordonnance, laquelle doit être adoptée d’ici le mois de juin 2019 ; il n’y a en effet dorénavant plus de temps à perdre dès lors que la Directive (UE) 2015/2436 du 16 décembre 2015 était censée être transposée en droit national avant le 14 janvier 2019...

Julie GRINGORE
mars 2019


Avocats mandataires sportifs : des précisions sur les contrats passés avec les sportifs professionnels

Civ. I 20 février 2019 n°17-27129

☞ Ce qu’il faut retenir:

Le contrat de mandataire sportif confié à un avocat n’a pas obligatoirement à être établi sous la forme d’un acte écrit unique.

En revanche encourent la nullité deux conventions formant un mandat sportif confié à une société d’avocats dès lors qu’il ne ressort pas de leurs stipulations un montant déterminable et précis des honoraires de l’avocat.

 Pour approfondir

Une joueuse professionnelle de handball a confié à une société d’avocats un mandat exclusif pour une durée de deux ans, avec une mission d’assistance et de conseils juridiques dans la négociation et la rédaction de ses contrats de travail, ou de tout autre contrat qui pourrait lui être nécessaire dans le cadre de son activité de sportive professionnelle.

Dans un autre document signé le même jour et intitulé « convention d’intervention exclusive », il était prévu que seraient réglés en cas de manquement aux obligations, « d’éventuels honoraires d’un montant de 8% sur la base du salaire brut, des primes et des avantages en nature annuels ».

La joueuse a signé un contrat de travail avec un club sportif, puis résilié le mandat exclusif moyennant un préavis de dix jours, et enfin ultérieurement signé une prolongation de son contrat de travail avec le même club.

La société d’avocats l’a assignée en paiement d’une indemnité d’éviction.

Après que le mandata ait été jugé nul en première instance, l’avocat mandataire sportif a obtenu gain de cause en appel, les juges du fond estimant qu’aucun des moyens d’annulation de la convention n’avait vocation à être retenu.

Il n’en est pas de même devant la Cour de cassation.

En effet, si celle-ci considère que le fait que le contrat d’avocat mandataire sportif n’ait pas été conclu sous la forme d’un acte écrit unique ne saurait être une cause de nullité, elle fait droit aux moyens d’annulation touchant à l’absence de précisions suffisantes de la rémunération du conseil.

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Concernant le formalisme que doit revêtir le contrat de mandataire sportif, et à défaut de précision textuelle, la Cour de cassation estime que l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971 n’impose pas que le contrat de mandataire sportif confié à un avocat soit établi sous la forme d’un acte écrit unique.

Ce faisant, la Cour maintient l’interprétation relativement souple des conditions formelles requises pour le mandat régissant les relations entre les sportifs professionnels et leur représentant.

Par arrêt du 11 juillet 2018 (Civ I n° 17-10458), elle avait déjà jugé « que l’article L.222-14 du Code du Sport n’impose pas que le contrat liant le sportif ou l’entraîneur à l’agent sportif soit établi sous la forme d’un acte écrit unique, et que la Cour d’appel ajoutant à la loi une condition qu’elle ne comportait pas, avait violé le texte susvisé ».

La Cour indiquant dans ce même arrêt que l’écrit exigé pour la validité d’un acte juridique pouvait être établi et conservé sous forme électronique, de sorte que des échanges de mails permettaient de considérer que l’existence d’un écrit était rapportée.

Ce qui implique cependant que les dispositions légales afférentes  aux actes électroniques tels que prévues aux articles 1316-1 et suivants du code civil soit respectées.

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Concernant la rémunération de l’avocat mandataire sportif, l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971, dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-158 du 1 er février 2012, dispose :

«(…) Dans le mandat donné à un avocat pour la conclusion de l'un des contrats mentionnés au premier alinéa de l'article L. 222-7 du code du sport, il est précisé le montant de ses honoraires, qui ne peuvent excéder 10 % du montant de ce contrat. Lorsque, pour la conclusion d'un tel contrat, plusieurs avocats interviennent ou un avocat intervient avec le concours d'un agent sportif, le montant total de leur rémunération ne peut excéder 10 % du montant de ce contrat. L'avocat agissant en qualité de mandataire de l’une des parties intéressées à la conclusion d'un tel contrat ne peut être rémunéré que par son client. »

Pour sa part l’article L. 222-17 du Code du sport précise pour ce qui touche aux agents sportifs :

« Un agent sportif ne peut agir que pour le compte d'une des parties aux contrats mentionnés à l'article L. 222-7.

Le contrat écrit en exécution duquel l'agent sportif exerce l'activité consistant à mettre en rapport les parties intéressées à la conclusion d'un des contrats mentionnés à l'article L. 222-7 précise :

1° Le montant de la rémunération de l'agent sportif, qui ne peut excéder 10 % du montant du contrat conclu par les parties qu'il a mises en rapport ;

2° La partie à l'un des contrats mentionnés à l'article L. 222-7 qui rémunère l'agent sportif.

Le montant de la rémunération de l'agent sportif peut, par accord entre celui-ci et les parties aux contrats mentionnés à l'article L. 222-7, être pour tout ou partie acquittée par le cocontractant du sportif ou de l'entraîneur. L'agent sportif donne quittance du paiement au cocontractant du sportif ou de l'entraîneur.

Toute convention contraire au présent article est réputée nulle et non écrite ».

La lecture comparée de ces deux dispositions montre que lors de l’ouverture de l'activité de mandataire sportif aux avocats, le législateur s’est ainsi largement inspiré du régime applicable aux agents sportifs (article 6 ter de la Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 issue de la loi du 28 mars 2011 n° 2011-334 : « Les avocats peuvent, dans le cadre de la réglementation qui leur est propre, représenter, en qualité de mandataire, l'une des parties intéressées à la conclusion de l'un des contrats mentionnés au premier alinéa de l'article L. 222-7 du code du sport »).

Certes, certaines différences subsistent (les avocats mandataires sportifs relèvent disciplinairement de leur ordre, alors que les agents sportifs sont contrôlés par les Fédérations Sportives ;  les avocats ne peuvent être rémunérés que par leurs clients, alors que les agents sportifs peuvent faire prendre en charge leur rémunération par le club sportif), mais de nombreuses convergences existent également (envoi des mandats aux fédérations, rémunération maximale de 10%.....).

Or, en matière de rémunération, si l’article L.212-17 du Code du Sport prévoit que les dispositions concernant la rémunération de l’agent le sont à peine de nullité, tel n’était pas le cas pour l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971 relatif aux avocats mandataires sportifs.

Pour autant, par l’arrêt commenté, la Cour de cassation semble poursuivre sa volonté d’uniformiser, autant que faire se peut, le traitement des deux activités (agent sportif et avocat mandataire sportif), en considérant que faute de prévoir précisément les modalités de détermination des honoraires de l’avocat mandataire sportif, la nullité des conventions était encourue.

Il convient donc de faire preuve de vigilance lors de la rédaction des contrats d’avocats mandataires sportifs avec des sportifs ou entraîneurs professionnels, en faisant préciser d’une part, le débiteur de la rémunération et, d’autre part, l’assiette précise de calcul des honoraires qui ne sauraient excéder 10%.

Pour autant, si ces premières décisions tracent les contours de la nouvelle profession d’avocat mandataire sportif, toutes les questions ne sont pas pour autant résolues, la Cour de cassation n’ayant, par exemple, pas statué sur le moyen du pourvoi qui soutenait, nonobstant la convention d’intervention exclusive à durée déterminée, que la joueuse était en droit de résilier cette convention d’intervention en application du principe de libre choix de l’avocat.

A rapprocher :  articles L.222-7 & suivants du Code du Sport.

L’équipe Droit du Sport

DERBY AVOCATS


Interview de Me Samuel CHEVRET dans Les Echos sur l'affaire Sala

https://business.lesechos.fr/directions-juridiques/droit-des-affaires/contrats-et-clauses/0600809788443-paiement-du-transfert-de-sala-quel-recours-devant-la-fifa-327431.php