Le droit commun au service du sportif rémunéré
Fréquemment les clubs, plutôt que d'avoir à subir les diverses charges afférentes à un contrat de travail, prévoient une rémunération de ses membres au coup par coup, sous forme de primes et de défraiements divers.
Deux jugements rendus consécutivement par le conseil de prud'hommes et le TGI de Caen permettent à un sportif dont l'activité ne serait pas considérée comme résultant d'un contrat de travail de forcer le club à exécuter ses engagements en ayant recours au juge du droit commun.
En l'espèce, une joueuse de tennis de table avait signé un contrat prévoyant le versement d'une rémunération de 2400 Francs par match plus diverses primes. Le club en proie à des difficultés financières demande à la joueuse d'accepter la réduction de sa rémunération à 400 francs par match. La joueuse refuse et porte l'affaire devant le conseil des prud'hommes. Celui-ci se déclare incompétent indiquant qu'il n'existe pas de contrat de travail entre le club et la joueuse.
La Cour de Cassation notamment à travers l'arrêt Société Générale (Soc. 13 novembre 1996, JCP 1997 E, II, 911, note J. Barthélémy) a clairement défini les éléments caractéristiques du lien de salariat. Les trois éléments caractérisant l'existence d'une relation salariée, et partant d'un contrat de travail, sont l'existence d'un travail, d'une rémunération et d'un lien de subordination unissant le salarié à son employeur.
L'existence d'un travail et la présence d'une rémunération n'étaient pas discutés en l'espèce.
En revanche, même si les stipulations contractuelles permettaient à la joueuse de toucher pendant les huit mois de la saison régulière entre 6 000 et 8 000 francs mensuels, le juge a considéré qu'il n'y avait pas subordination et donc pas de contrat de travail.
Il est vrai que le contrat ne prévoyait aucune obligation relative à la présence à des entraînements, au respect de directives relatives à un règlement intérieur où à l'application de méthodes d'entraînement précises. En résumé la joueuse, domiciliée à 200 km de son club, avait toute latitude pour se préparer au mieux, à charge pour elle de se présenter lors des matches avec un niveau conforme à son rang (n° 52 française).
L'appréciation de la présence d'un lien de subordination s'effectue donc au cas par cas, et permet de retrouver en jurisprudence une extrême diversité de décisions.
Ainsi récemment l'existence d'un lien de subordination a été niée (Soc. 25 mars 1997 Charvet-Quemin) puis reconnue (Soc. 10 juillet 1997 SA Club Barclay pour un professeur de tennis; niée (Soc. 24 Mars 1993, Dalloz 1995, Som. 68 obs. J. Mouly) puis reconnue (Soc. 15 janvier 1997 Samoyeau) pour un entraîneur d'une équipe amateur de football, ou encore reconnue pour un joueur de Hockey sur glace (Soc. 23 janvier 1997, RJES n° 44 p. 35, obs. J. Mouly).
Enfin il convient de relever qu'en matière sportive l'entrée en vigueur de la Loi Madelin du 11 février 1994 qui fait apparaître à l'article L. 120-3 du Code du travail la notion de subordination juridique permanente pour caractériser l'existence d'un contrat de travail ne semble pas avoir modifié les critères d'appréciation de ce lien de subordination.
Les arrêts récents de la Cour de cassation (Soc. 23 janvier 1997, prec., Soc . 25 février 1998, Terzian) reprennent en effet la définition du lien de subordination résultant de l'arrêt Société Générale à savoir " l'exécution d'un travail sous l'autorité de l'employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ".
Mais au-delà, l'intérêt supplémentaire de l'espèce réside dans la suite qui fut donnée à l'incompétence du conseil de prud'hommes. En effet plutôt que d'interjetter appel, la joueuse décidait de porter l'affaire devant le juge du droit commun.
Le Tribunal de Grande Instance était donc amené à se prononcer sur l'inexécution du contrat par lequel une sportive s'engageait à " mettre ses talents à la disposition du club " en contrepartie d'une rémunération de base de 2400 francs par match joué.
Aucune qualification précise n'était donnée au contrat, même si à travers la prestation de service fournie celui-ci semblait pouvoir s'intégrer dans la catégorie des contrats d'entreprise.
Faisant application des articles 1134 et 1184 du code civil, le tribunal estima que la rupture du contrat ne pouvait être imputé à la joueuse dès lors qu'une incertitude pesait sur l'exécution du contrat et que cette incertitude traduisait le refus par le club d'exécuter la convention de bonne foi.
La valse-hésitation du club en proie des difficultés financières conférait donc le droit à la joueuse de mettre en œuvre l'exception d'inexécution prévue par l'article 1184 du Code civil.
Le tribunal légitime ainsi, a posteriori, le choix fait par la joueuse de ne pas disputer les rencontres pour le compte d'un club qui tentait visiblement de la faire patienter le plus longtemps possible.
Le club se voyait donc condamné à verser les sommes auxquelles la joueuse aurait pu prétendre si elle avait disputé tous les matches de la saison.
Le sportif qui s'est ménagé la preuve d'un engagement pris par son club peut donc en poursuivre l'exécution devant le juge civil, lorsque les éléments du contrat de travail ne sont pas réunis. Les dommages et intérêts perçus seront non imposables. Les droits du sportif sont alors sauvegardés malgré ce type de rémunération qui, il faut le rappeler, se situe à la frontière des obligations légales.
Ainsi en conclusion, il convient de mettre en garde club et sportif sur les dangers que constituent de tels accords en matière de rémunération de prestation sportive. Les économies réalisées (absence de charges sociales) apparaissent en effet souvent dérisoires avec les risques inhérents à ces agissements (absence de couverture sociale, risque de redressement fiscal voire de poursuites pénales liés au travail clandestin ou à la non-déclaration de revenus). De petites économies qui se justifient d'autant moins que des dispositifs d'allégements de charges sociales sont prévus en matière de rémunération des sportifs (Arrêté du 27 juillet 1994, RJES n°32, septembre 1994, p. 64).
Conseil de prud'hommes de Caen 25 novembre 1997
TGI de Caen 6 avril 1999
La présente chronique est parue en intégralité à la revue Pratique de Droit Social, Ed. Lamy, n° 40, juillet 1999.